Depuis quelques années Patrick De Geetere consacre, dans le silence et la solitude toute sa vie à la peinture.
1- MOI
« Dans cette chambre est né Patrick de Geetere. » C’est ce qu’a écrit le Docteur Schweitzer au bas d’une photo en noir et blanc. C’est un pavillon de son hôpital. D’une flèche rouge, il indique l’une des fenêtres. Comme si le docteur avait eu la prémonition que ce petit homme né là, très vite, oublierait tout de ses origines et appartenances.
Ma mère espagnole, émigrée à Bordeaux, avait rejoint mon père, ingénieur minier flamand, à Lambaréné au Gabon. Et puis, presque aussitot,, elle était repartie avec moi. Je devais avoir un an ou deux. Mon père, lui aussi, quittait l’Afrique, peu après, pour se joindre à l’abbé Pierre /1955. Il était l’un des cinq premiers d’Emmaus.Quatre ans aprés, on a retrouvé son corps sur le bas-côté d’une route menant à Chartres. On a dit, un pèlerinage et la tuberculose.
Après, mes origines, elles se sont fabriquées en tranches, avec ma vie.
LSD, ces trois lettres ont été très tôt primordiales pour moi, plus que 68. Je les ai fréquentées environ 200 fois en deux ans, 1970/71, je crois. Dès le début, elles m’ont ouvert les portes de l’Etre par intermittence, comme en pointillé, mais indubitablement l’Etre ! C’est pour cela, pour moi à cette époque, en France, il me semblait que l’on comprenait la Révolution de manière un peu étriquée. En 68 aussi. ilsi cherchaient cela, sans le savoir, à tatons, barbotant encore dans l’Avoir. A commencer par s’apartenir, se posséder. Debord, oui, mais alors Debord tout seul, comme Duras tout seul ou Godard tout seul, papillonnaient autour du même lampion, ou presque..
Vers 1971, j’ai pu nommer mes premières origines, celles de la terre qu’empruntèrent mes pieds six ans durant, l’Inde, le Japon, mais la Corée surtout. C’est un mauvais livre qui m’a ouvert le chemin, "Le Zen" d’Alan Watts. Lui aussi avait, comme beaucoup d’autres, surtout aux USA, goûté, avalé et chié l’Etre avec la vague montante du psychédélisme. C’étaient mes amis de cœur. Et d’autres, avant encore, Michaud bien sûr, Ginsberg, Huxley, Burrough, Baba Ramdas et tous les autres que je ne connais pas. Il conviendrait aussi de citer Artaud, Daumale … je ne suis pas sûr… Ils ont sans doute rencontré la folie éblouissante, oui.
L’ocre, le rouge et le noir, ce sont les couleurs de l’Asie pour moi et le bleu aveuglant des pieds de l’Everest, Thubten Choling, Kangyur Rimpoche, Kalu...
Dans un recoin des montagnes de Corée, celui que j’ai choisi, Ku San, maître d’un monastère Zen, « Mu », « rien », à en baver les cervelets dans la glace cassée à 2 heures du matin, pour se laver les pieds et regarder furtivement la lune avant de rentrer s’asseoir, 4 heures avant le premier déjeuner. S’asseoir 14 heures, dormir 4 heures, puis laver les choux par centaines, nus dans le torrent, et dans des cruches énormes, aligner une couche de choux, de sel, de poisson, de piment, les doigts rouges qu’on dirait du Soutine et la morve et le ciel bleu avec ses corbeaux.
Déjà la peinture comme je l’embrasse, en tout cas, la naissance de la ligne, du son, de la couleur, de la matière à s’en écorcher les idées.
Et puis 6 ans après, le retour en France avec une femme. Je l’ai rencontrée aussi loin que c’était possible de la langue maternelle qu’elle ne parlait pas ni l’anglais non plus et moi le coréen comme un enfant dans un avion à boire du whisky tout le long. Elle s’appelait Young Ja/Femme droite,, Comment parcourir en ligne droite un chemin aux milles détours ?
A Paris, un BEPC en main, je passe les Beaux-Arts surtout sans y mettre les pinceaux et les Arts Déco. Ah ! grande rencontre, ce que je cherche ; le son, l’image, la parole, la peinture, la poésie et tout ça en mouvement ; la vidéo, pas le video-art des artistes, non, avec du pognon j’aurais sauté à pieds joints dans le 35.
En tout cas, c’est le carambolage, écorché, explosé, griffé, coupé/collé, monté papa Godard ! La joie des terrains vagues, au dessus de la mer avec Catherine, la femme à la fourrure et deux fois le soleil se lever, bonsoir NYC, Television, Patty Smith, Arto Lindsay, Marc Ribot, Massacre, Suicide, la nouvelle vague et mon troisième film « Clouds of glory » après « New facts about cement » et sous mes pieds la terre américaine, celle de l’immense Amérique, généreuse, celle que Basquiat dessine avec du café et du ketchup sur des nappes en papier avant d’aller se faire foutre. « Clouds of glory », premières gloires à Paris, rencontre avec Sobelman à Ex-Nihilo, il veut faire du commerce artistique/ bon cœur, c’est la noyade. J’ai le temps sur un coin de table de griffonner "Fugitives in black & white », « Fuck you dreams this is heaven », « A capela », « Les contaminations », « De doute et de grâce » qui me permet de marier Delphine Seyrig et Tuxedomoon, un vieux rève. Mais déjà Ex-Nihilo devient Agathe. A point nommé, je rencontre Pierre et le CICV et tout le reste, Neplaz, Larcher, GianiToti, les larmes à l’envers, surtout au début ; le laboratoire, pas les portes ouvertes, des "terres blanches",non, des ombres la nuit qui débarquent bagages dans la neige pendant que d’autres qui viennent juste de lâcher les studios grignotent un bout dans la vieille cuisine et que Pierre nous nourrit de son intarissable générosité. Ma première rencontre avec un vrai producteur ! Mon premier film chez lui ; « En pire » pourquoi ? parce qu’il me laisse les studios et leurs tableaux de bords de boeings énormes à la seule condition que je me pointe sans monteur, sans scénario ni début d’idée, ni texte, ni rien.
Proposition assénée, pari tenu ! Merci Pierre, je réalise mon premier vrai film. Avant pendant 10 ans, des essais, des fragments, des bouts de ci et de là. Un film expérimental, on dira... la belle blague. Génial disait la presse vidéotique. Et Pierre en redemande et c’est la trilogie « En pire / Jeanne / Stupa ... Maman s’en va.
Suivent « Le palais de cristal », « Fado », « Tathata », « Anoiceter », « Milonga », « L’histoire des heures » et « Campagne » dedicated to Anne platoniquement.
Entre-temps, sous mes pieds a défilé la terre latine, Pise, Venise, les cinq terres, Lisbonne mais surtout Rio et Sao Paulo. Salut Bambozzi, celui qui m’a ouvert Diamantina et Oro preto, obrigado ! Trop à dire... Dans ma vie, je n’ai jamais pu dissocier la spiritualité, les femmes et l’Art. Tout ce que j’ai fait peut être associé à un nom de femme/maîtresse/mère/sœur/fille/putain/assistante et quoi d’autre à aimer, pétrir, embrasser, déchirer, baiser, s’accrocher, supplier. Rencontres miraculeuses, départs cataclysmiques. 1999, départ de Cathy, ma femme de 11 années, exil à Marseille où Neplaz, mon ami, me porte à bout de bras pendant un an et puis Patricia, la carioca londonienne rallume le feu et quel feu !.. vite éteint un an après qui me laisse en loque. En pire, oui, finalement, ces raclures d’images, percées, rayées, montées comme un terrain vague. J’aime les béances disait Léonard, c’est par là que la lumière entre.
2- L’ART
Fallait bien passer de la consommation au spectacle dans tous les domaines. L’art l’a fait très bien dans le sien. Vieille ou jeune pute édentée, à part exception, c’est de la marchandise, pas peur d’être ignoble si ça rapporte gros. Alors l’Art éructant tes pustules, t’es devenu imprononçable. Je préfère « Poésie », sais pas pourquoi, peut-être plus difficile à pénétrer par les gens bien. La bite trop petite, le portefeuille trop plein. Howl, allez-vous faire foutre ! De Rimbaud à Ginsberg en passant par Dylan le Bob, la poésie musique/peinture/cinécrite, je la vois partout, pas tout le temps, le temps comptabilise, le temps tue, il suffit de regarder.
La poésie est ! Tu es cela camarade !
Bouddha mal nettoyé, ton cœur sent la pisse et ta robe à tout cœur nous dit : Vous êtes rien/tout !
3- PEINTURE
On peut s’étonner de voir quelqu’un qui, sa vie durant, s’est adonné au cinéma, se remettre à la peinture à un âge avancé. J’y vois deux raisons majeures. D’abord, un geste en résistance à la dévaluation pathétique générale d’à peu près tout.
Ici, celle de l’art contemporain et sa manie d’inclure dans ses manifestations des références misérables au cinéma via la vidéo, mais alors des références tronquées. Ce que l’on ne trouve plus dans les chutiers des salles de montage, on le trouve tronçonné, répété, empâté à l’emporte-pièce, mais surtout dépourvu de ce que l’on appelait il y a encore peu la Pensée.
L’autre raison, c’est Halloween la citrouille magique percée de ses six trous par où nous parvient la lumière modelée par la forme des orifices qu’elle emprunte. Il me plaît de penser que chacun des orifices représente la conscience de la vue/peinture, du son/musique, du toucher ce qu’on voudra et ainsi de suite jusqu’à la conscience de la penséel/panoramique, d’où procèderait tous nos Beaux-arts, ornement magnifique, non pas du marché mais de la Vie retrouvée.
Et pourquoi celui qui la mettrait sur sa tête pourrait encore parler de peinture et se délecter des distinctions, comme on sait si bien le faire dans l’Hexagone ?
Peindre justement comme on filme, pour éviter de dire.