Rituel forestier indiscipliné / in situ.
De et avec Sandrine Bonnet & Karin Vyncke
Espace sonore : Christian Bretonnet
avec la participation des enfants du centre de loisirs d’Arc-en-Barrois
A propos de "Parcelle 128" rituel chorégraphique forestier
Par Pierre Bongiovanni
Parcelle 128 est une proposition chorégraphique fondée sur l’accumulation et l’accélération des paradoxes contemporains : on imagine une situation acquise et elle s’effondre sans préavis ; on s’endort vaillant, on se réveille couard, on se croit perdu et la renaissance pointe son nez.
Parcelle 128 explore trois univers paradoxaux :
- un monde de femmes et sans hommes reste un monde cruel, sauvage et impitoyable,
- les enfants sont des intrus au paradis,
- la forêt protège autant qu’elle anéantit.
Premier paradoxe
Deux femmes, fées, prêtresses, harpies, dragonnes se livrent à l’éternelle parodie du pouvoir, de la séduction, et de l’anéantissement de l’autre. Tout se passe, ici encore, comme si à l’intérieur d’un couple, en l’occurrence, un couple de femmes, rien d’autre que du bestial ne pouvait advenir (le bestial peut aussi parfois avoir l’apparence de l’amour comme lorsque la chatte dévore son petit en ronronnant).
Un monde sans homme reste une jungle innommable. Il ne restait plus grand chose aux hommes : il restait la sauvagerie, la soif de conquête et de possession. C’est fini : les femmes ont conquis cela aussi.
Second paradoxe
Les enfants, elfes, anges, (juges ?) regardent sans comprendre les éternels errements des adultes dont ils singent les contorsions, les parades et les effrois sans en partager aucun, sauf soudain à se muer en meute dénonciatrice mais désinvolte et vaine.
Troisième paradoxe
Traditionnellement la forêt était le lieu des ténèbres, des esprits malfaisants, des animaux dangereux, des hors-la-loi. Il fallait toute la détermination des forces de progrès pour réduire l’obscurité et permettre à tous d’accéder aux lumières et à la connaissance. Le mythe de Diane et Actéon ne raconte rien d’autre : pour avoir bravé l’interdit de regarder Diane nue prenant son bain, Actéon est changé en cerf puis dévoré par ses propres chiens. Vouloir connaître la vérité (accéder à la connaissance) mérite le pire des châtiments : la dévoration par ses propres domestiques (les chiens de meute).
Pourtant dans Parcelle 128, la forêt devient étrangement un lieu de lumière et une zone protectrice permettant d’échapper provisoirement à l’aveuglement des humains, adultes et enfants.
Parcelle 128 est donc un rituel de retournement des évidences : les femmes sont des hommes comme les autres, les enfants sont des monstres comme les autres, les ténèbres sont des lumières comme les autres.
Pour accéder au territoire du rituel, le public chemine plusieurs minutes sur des chemins qui l’éloignent de la civilisation rationnelle pour lui permettre d’approcher de la révélation des mystères. Les révélations ne sont pas toujours euphorisantes, pourquoi le seraient-elles d’ailleurs ?
Dans un monde tout entier voué à la consommation spectaculaire de divertissements « light », Karin Vyncke et Sandrine Bonnet nous proposent une autre ambition : celle de renouer avec l’imaginaire cru et fécond des contes cruels et éternels de notre enfance, où les ogres et les loups étaient réellement des vrais mangeurs d’enfants.
Le tout avec une étonnante économie de moyens, une absence totale de discours et d’effets. Reste la danse, la puissance et la beauté sauvage. J’en frisonne encore.